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Au Pied du Saule

 
 

A l’instant où elle ouvrit la porte, Martha sut que quelque chose n’allait pas. Même si elle avait déjà imaginé cette scène plus d’une fois, elle n’aurait jamais pensé que cela puisse arriver aujourd’hui. Elle resta figée à mi-chemin entre surprise et effroi, entre sourire et larmes, ne sachant que dire devant celui qu’elle avait tant aimé.

De son côté, Al lui déposa un baiser sur le front comme il ne l’avait pas fait depuis une éternité, puis passa la porte en direction du salon. Martha, sentant le sol se dérober, se contenta de lâcher un expire qui l’empêcha, le temps d’un instant, de s’évanouir dans l’embrasure.

Il était là ! Était-ce vraiment lui ?

Elle referma la porte lentement, ses mains tremblantes, se dirigea vers la cuisine et avec un automatisme qu’elle avait perdu depuis un an, elle lui demanda d’une voix incertaine :

-        Tu as faim ?

-        Plutôt, oui, pas toi ? répondit-il avec une douceur presque désarmante.

Il s’avança vers elle, passa derrière et l’enlaça délicatement. Lorsque ses bras se rejoignirent, elle reconnut sa chemise ; celle-là même qu’il avait achetée sur le marché de Nîmes et qu’il portait la dernière fois qu’elle l’a vu. Son sang se glaça instantanément. Comment était-ce possible ?

Au-delà de cette tendresse qui ne lui ressemblait pas et, bien que le timbre de sa voix était identique, Martha le savait : Ça ne pouvait être lui. Pas après tout ce qu’elle avait traversé.

Mille questions se bousculaient dans sa tête mais, pour l’heure, elle se devait d’accepter le retour de son mari un an après sa disparition subite, lui qui n’était jamais revenu de son footing dominical. Elle se souvenait de ces interrogatoires interminables avec le chef de la police, des battues dans la vallée du Gardon, accompagnées des volontaires locaux et des nombreuses heures en pleurs pendant lesquelles elle regrettait leur dispute avant son départ.

En effet, Al n’avait malheureusement pas toujours été l’homme aimant qu’elle avait épousé le jour de ces dix-neuf ans. Son enfance chaotique et son licenciement abusif, mêlés à de nombreux soucis financiers, avaient fait de lui un être aigri qui prenait parfois plaisir à décharger sa frustration sur elle quand le ragoût n’était pas assez chaud ou lorsqu’il estimait qu’elle ne prenait pas assez soin d’elle. Ensemble, ils avaient pourtant pu rénover entièrement le Mas hérité de son père dans la petite ville de Mialet et dans lequel ils vivaient depuis plus de dix ans. Et même s’il restait certes encore quelques aménagements à faire, ils n’avaient jamais vécu dans le besoin. Peut-être était-ce l’isolement qui avait fini par lui voler le sourire enjôleur de leurs premiers rendez-vous ? Quoi qu’il en soit, son époux avait changé et, aujourd’hui, elle ne saurait dire si cet homme attablé est bien Albert. Tout en lui sonnait faux, comme une mauvaise réplique.

Le dîner se fit dans un silence que Martha avait fini par adopter depuis qu’Al s’était volatilisé. Pendant que son esprit tentait en vain de répondre à une multitude d’interrogations incessantes, elle remarqua son regard insistant posé sur elle tout le long du repas, comme s’il s’apprêtait à lui raconter ce qui lui était arrivé. Curieuse autant qu’effrayée, elle n’osait lui demander de peur d’entendre la sombre vérité de son absence.

Une heure s’écoula, sans un mot, avant que Martha ne prenne la décision d’aller se coucher. Elle décala son assiette, se leva de sa chaise, plia sa serviette et Albert emboîta son pas vers la chambre à coucher.

-        Tu dors sur le canapé ce soir ?

-        Non, pas ce soir, j’aimerais te serrer dans mes bras avant que tu ne t’endormes.

Encore une chose étonnante qui frappa Martha. Etrangement, cette attention délicate et cette intonation dans la voix ne faisaient plus partie des habitudes d’Albert. Lui qui ne pouvait se glisser dans les draps qu’après avoir ingurgiter quatre bourbons-bières était devenu l’homme charmant qu’elle avait tant rêvé de retrouver à ses côtés. Ainsi, chacun se lova, tandis que Martha, le cœur lourd, s’abandonna dans les bras de celui qui ne pouvait être son mari.

Aux premières lueurs de l’aube, Martha ouvrit les yeux et fut stupéfaite de voir Al, assis là, au pied du lit, la regardant fixement.

-        Que fais-tu ici ? Lui lança-t-elle sèchement.

-        Je n’avais pas sommeil, je réalisais simplement la chance que j’avais de t’avoir.

Sur ces mots, Martha fondit en larme et rétorqua :

-        Al, tu ne peux pas disparaître tout ce temps et revenir comme si de rien n’était. C’est impossible !

Albert la regarda avec une sérénité troublante.

-        Je te rappelle que c’est toi qui m’as fait partir.

-        Mais, je n’avais pas le choix.

-        Ne voulais-tu pas que je revienne ?

-        Bien sûr, enfin, je ne sais pas, je ne sais plus, tu m’as fait tant de mal.

-        Je suis désolé.

-        Te rappelles-tu seulement ce qu’il s’est passé ?

-        Evidemment.

-        Alors dis-le moi !

-        Tu le sais très bien.

-        Mais alors pourquoi ? Pourquoi revenir aujourd’hui ?

Avant qu’Albert ne puisse lui répondre, la vue de Martha se troubla et un son aigu lui traversa les tympans.

-        Tout va bien ma chérie ?

Martha se leva tant bien que mal, enleva la main d’Albert venue gentiment la soutenir, puis descendit à la cuisine se servir un verre d’eau. Face à l’évier, devant la fenêtre donnant sur le jardin, elle plongea son regard au loin en direction d’un majestueux saule pleureur auprès duquel avaient fleuri de magnifiques jonquilles. Un frisson la traversa. Qui était donc cet homme ?

Elle se souvenait de cette violente dispute avant qu’il ne parte ; mais aussi de celles qui lui avaient causé de violents maux de tête et quelques hématomes au coin des yeux. Elle songeait au nombre de fois où elle aurait pu, où elle aurait dû partir, plutôt que d’affronter ses excès de colère inexpliqués. Était-il le même qu’auparavant ? La vie lui offrait-elle une chance de tout réparer ? Martha l’espérait au plus profond d’elle-même.

Le jour passa, toujours dans la bienveillance d’Albert et de ses curieuses petites attentions qu’il n’avait jamais eues. Devait-elle s’en réjouir ? Elle ne l’excluait pas,  même si la chose la plus déstabilisante demeurait son regard perçant, si oppressant, posé sur elle à chacun de ses déplacements dans la maison. Aussi, le souper de ce soir-là fut similaire au précédent ; puis ils partirent se coucher, elle, nerveuse, lui, sobre et incroyablement silencieux. Si Martha en doutait encore, il lui restait une piste à explorer pour confirmer ce qu’elle craignait.

Au milieu de la nuit, feignant son sommeil, Martha se tourna vers celui qu’elle soupçonnait être un imposteur. Mais alors qu’elle l’observait profondément endormi, elle remarqua l’absence de sa profonde cicatrice qu’il s’était faite à l’épaule en chutant dans l’escalier étant enfant. C’en était trop. Elle s’extirpa lentement des draps, descendit au rez-de-chaussée et traversa l’épaisse brume de la nuit, se rendant au fond du jardin, munie d’une pelle. Là, elle arracha nerveusement les jonquilles au pied du saule et creusa un trou si profond qu’elle en exhuma des ossements. Elle le savait ! Il s’agissait bien de l’endroit dans lequel elle avait pris soin de l’enterrer la veille de sa disparition.

Prise de panique, les larmes brouillant sa vue, elle recula de quelques pas, trébucha sur les fesses, jeta un œil à la fenêtre de sa chambre et le vit debout, la fixant intensément. Submergée par l’émotion, la nuit l’engloutit et Martha perdit connaissance.

…To be continued…

Au Pied du Saule© - Steeve Marait - 23/10/2024 - Tous droits réservés